Lorsqu'on se propose de trouver facilement les noms des plantes, il ne faut pas se préoccuper de leur classification.
Les personnes qui connaissent très bien les plantes savent les nommer, même à distance, ou en jetant un coup d'œil sur une tige fleurie qu'ils viennent de cueillir. Ces personnes, si exercées, ne tiennent donc pas compte des caractères techniques des végétaux pour les déterminer, et ne se préoccupent pas de constater si l'ovaire est supère ou infère, de quelle manière les étamines sont ou non soudées soit à la corolle, soit au calice, si la graine possède ou non un albumen, etc. Elles pourraient ne connaître ni les caractères des familles, ni ceux des genres; cela ne les gênerait en rien pour donner exactement les noms des espèces.
La recherche du nom des plantes et la recherche de leur classement sont donc en réalité deux problèmes essentiellement différents.
C'est ce qu'avait reconnu Linné, qui avait établi son Système du règne végétal dans le but, non de constituer des groupes naturels, mais de faciliter la détermination des plantes. Linné avait pensé que le moyen le plus commode pour atteindre ce but était de compter les étamines des fleurs et ensuite de compter leurs carpelles. Mais ce procédé n'est pas toujours si facile qu'on pourrait le penser, et comporte, surtout en ce qui concerne les carpelles, de grandes difficultés. Quoi qu'il en soit, le Système de Linné eut un grand succès, à cause de la facilité relative avec laquelle on arrivait à trouver les noms des plantes. Ce succès a été si complet et si durable que les Flores de Suède, de Norvège, de Danemark, certaines Flores d'Allemagne et de Suisse sont encore actuellement disposées suivant le Système de Linné.
Lorsque Lamarck imagina les clés dichotomiques, c'est-à-dire une suite de doubles questions posées successivement au lecteur, il avait cherché à réaliser un moyen, encore plus facile que celui de Linné, pour trouver les noms des plantes; mais il voulait en même temps présenter les végétaux de la Flore Française dans leur ordre naturel, par familles, genres et espèces. Alors, il se rendit bientôt compte de l'impossibilité de cette juxtaposition. Tout d'abord, Lamarck renonça à faire une clé de familles, les caractères des familles étant sujets à de nombreuses exceptions, et il établit une clé directe de genres, ou plutôt de groupes d'espèces. L'ensemble de ces tableaux dichotomiques destinés à trouver les noms des plantes fut placé par lui en dehors de la Flore proprement dite; les clés renvoyaient aux genres par des numéros dont l'ordre n'est en rien le même que celui des plantes décrites dans la série naturelle.
Ce qui montre bien que la recherche des noms des plantes était, pour Lamarck, un but tout autre que l'établissement d'une classification naturelle, c'est qu'on trouve à la suite les uns des autres, dans une même page de ses tableaux, les noms de plantes appartenant aux familles les plus différentes, par exemple les suivants: Epimédium, Evonymus, Fraxinus, Mœhringia, Tribulus, Ruta, Pyrola, Peptis, Dianthus.
Dans la description méthodique des espèces de la même Flore, ces noms sont dispersés aux endroits les plus divers, sans aucun rapport avec l'ordre précédent.
Les clés de Lamarck sont d'un usage très commode par la méthode des questions successives; toutefois les caractères qu'a employés l'illustre naturaliste, surtout ceux qui se rapportent aux premières séries de questions posées, sont encore fort difficiles à reconnaître pour quelqu'un qui n'a pas fait d'études botaniques.
C'est le cas de citer quelques extraits empruntés au philosophe Ernest Bersot qui, lorsqu'il dirigeait l'École Normale Supérieure, a publié, parmi ses réflexions de moraliste, une Lettre sur la Botanique (1). Ces citations, que j'ai déjà faites ailleurs, trouvent ici leur place indiquée; c'est pourquoi je crois devoir les reproduire.
« La Botanique, dit-il, est une des sciences les plus trompeuses. Comme les fleurs sont charmantes, on s'imagine qu'elle est charmante aussi, et l'on est vite désabusé. Pourquoi donc ? ah ! pourquoi ? c'est que les savants ont songé à eux, et non pas à nous. Ils ont voulu une science qui en fût une, et ils ont mis chaque chose à sa place sans s'occuper de savoir s'il serait facile à tout le monde de l'y trouver. Combien de fois j'ai essayé de devenir botaniste, et à chaque fois j'ai été vaincu !
« J'avais pensé que pour reconnaître une fleur, il suffisait de reconnaître quelques gros caractères, bien visibles, bien tranchés et toujours réunis; mais il paraît qu'il ne faut pas se fier aux apparences... Force a été aux savants de s'adresser à des caractères cachés et délicats, en sorte qu'on ne peut rien sans le scalpel et le microscope, et sans avoir en même temps la fleur et le fruit, sans avoir suivi à peu près toute l'histoire de la plante. On se rebuterait à moins. »
Plus loin, l'auteur parle des figures accompagnant les descriptions des plantes ou servant à faire trouver leurs noms; il s'exprime ainsi:
« Oui, ils sont précieux aux ignorants ces livres avec figures; s'il n'y a qu'un dessin, c'est bien; si la couleur y est, c'est encore mieux. Que de peine ils nous évitent. On nous imposerait de trouver, dans des salons nombreux, une personne inconnue, sur des renseignements minutieux, quelle difficulté de la reconnaître et combien de chances nous aurions de tomber sur une autre ! Au contraire, on nous la présente, ou son portrait, et d'un coup d'œil, sans analyse de détail, il se forme en nous une image d'ensemble par laquelle nous la reconnaîtrons toujours.
« De quoi s'agit-il en définitive? de savoir; car d'être savant est pour la plupart de nous une prétention trop haute. »
La question se pose donc ainsi. Les botanistes qui ont découragé Bersot avaient-ils raison? Est-il impossible de trouver les noms des plantes sans savoir la Botanique ? Les personnes qui connaissent les plantes n'arrivent-elles à les nommer qu'à la suite d'une grande habitude, et les caractères dont elles se servent, sans s'en rendre compte, avec leur flair particulier, sont-ils impossibles à traduire par une rédaction simple, à la portée de tout le monde?
Comme tous ceux qui ont étudié la Botanique systématique, j'ai cru très longtemps qu'il fallait répondre affirmativement à ces diverses interrogations. Et cependant je constatais à chaque instant qu'en général, ce n'était pas à l'aide des caractères de la classification que je reconnaissais les diverses espèces, mais bien au contraire, par une détermination directe, et pour ainsi dire inconsciente.
Je me suis alors demandé .si, en combinant la méthode des clés dichotomiques de Lamarck avec l'examen do ces « gros caractères bien visibles, bien tranchés et toujours réunis » dont parle Bersot, en y joignant, comme il le souhaitait, de nombreuses figures en noir et en couleurs, on pouvait arriver à faire trouver facilement les noms des plantes à tous ceux qui n'ont fait aucune étude préalable de Botanique.
C'est le résultat de cet essai que je présente dans cet ouvrage, sous le nom de Méthode simple.
Aux lecteurs de juger si j'ai réussi.
Nota. — Malgré les nombreuses déterminations qui ont été faites au moyen de la Méthode simple par beaucoup de personnes très diverses, et toutes ignorantes de la moindre notion de Botanique, et malgré les corrections faites à cette nouvelle édition, il y a certainement encore des erreurs à signaler ou des améliorations à apporter aux clés que j'ai rédigées. Je serai très reconnaissant aux lecteurs de me signaler les erreurs qu'ils pourront rencontrer ou les améliorations que leur suggérerait l'emploi de ce petit volume.
(1) Ernest Bersot, Lettre sur la Botanique (Un moraliste), p. 277, Paris, 1882.